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8 indignations – 8 luttes – 8 revendications
Le 8 mars est bien une journée internationale de lutte des femmes pour que l’émancipation soit réalisée et que l’égalité soit conquise.
Tout le récit de l’officialité sur l’amélioration de la condition des femmes doit être contesté. Chaque avancée n’est conquise que par l’organisation, la lutte permanente, la construction systématique du rapport de forces.
C’est une lutte de longue durée qui ne peut et ne doit finir que par une victoire totale, une transformation sociale qui brise le patriarcat et le système de domination qui nous étreint.
Rien dans la situation que nous vivons ne nous invite à l’optimisme. Pourtant, aujourd’hui plus que jamais, il faut laisser le pessimisme pour des temps meilleurs et parier sur l’avant. Chaque jour, on saisit plus clairement que le système de domination et d’exploitation est cohérent et que le patriarcat en constitue un pilier porteur, marquant la condition de toutes et de tous.
1. Liminaire
A quelques jours de ce 8 mars 2025, le pouvoir politique décide d’enlever à plus de 600’000 femmes une treizième partie de ce qu’elles devaient toucher au titre des mesures compensatoires pour la mise en place de la retraite à 65 ans. Misère de la compensation contre injustice féroce de cette prolongation du temps de travail. Mais le pouvoir patriarcal la redouble par la mesure que l’on sait. Certes, le gouvernement cherche de l’argent. Bien sûr, il affiche le mépris, la mesquinerie et l’arrogance des gens qui nous gouvernent. Mais pas que. Par tout cela, avec tout cela, il donne une échéance nouvelle à la vieille histoire de la domination des femmes, de la condition infériorisée qui leur est imposée. Par nos luttes, opposons des centaines de milliers de refus à cette injustice. Chaque résistance dresse un rempart contre la volonté de nous asservir.
2. Egalité des salaires
Politiciennes et politiciens, notamment ici dans le canton de Vaud, ne cessent de proclamer que l’égalité salariale est réalisée dans la fonction publique, voire dans le secteur subventionné. C’est faux. Il s’agit d’une égalité formelle, étroitement corsetée dans des professions séparées les unes des autres. Une égalité qui ne reconnaît en rien les conditions particulières des femmes dans l’univers du travail salarié. L’extorsion du travail de soin et d’éducation qui pèse sur elles, ce gigantesque travail gratuit sans lequel il ne serait pas possible de faire vivre et de reproduire l’institution de la société. Mais il n’y a pas que ça quand on parle d’égalité des salaires. On sait que la différence salariale entre les femmes et les hommes est de 19% au détriment des premières. De ces 19%, l’essentiel reste inexpliqué. C’est la marque la plus évidente de la domination patriarcale, non la seule évidemment.
Tout le monde le sait, les professions et les activités féminisées dans leur réalité et leur histoire sont moins bien traitées que celles que les hommes ont marquées de leur empreinte et où souvent aujourd’hui encore cette empreinte domine. La question de l’égalité réelle se pose de manière claire, évidente. Si l’on veut avancer il faut comparer les capacités, les qualifications, les compétences, les savoirs mobilisés dans chaque profession et définir à partir de cela l’égalité. Tout ce que les femmes mettent dans l’activité professionnelle y compris leurs savoirs culturels et sociaux doit être reconnu et rémunéré.
Tous les champs professionnels doivent être systématiquement comparés pour débusquer les inégalités, les ségrégations, les traitements injustes afin d’établir cette égalité véritable qui aujourd’hui est tout bonnement déniée par le pouvoir
3. Salaire minimum
Les conditions de travail et de rémunération faites aujourd’hui dans le secteur étatique comme dans le subventionné ne permettent souvent pas aux femmes de vivre dans des conditions décentes. Ce problème est encore accentué par l’extension des familles monoparentales et des situations qui en dérivent. Le Conseil d’Etat sait parfaitement que beaucoup de personnes qui travaillent dans le public ou dans le secteur subventionné sont contraintes de recourir à l’aide sociale. Le gouvernement tente de le dissimuler ou de l’ignorer mais la vérité est là. La revendication urgente est évidemment celle du salaire minimum. Et, sur ce point, il n’y a pas à marchander ni à essayer de trouver la complaisance de celles et ceux qui nous dirigent. Comme le dit très justement l’Union syndicale suisse (USS) le salaire minimum c’est Fr. 4’500.- pour les non-qualifié·e·s et Fr. 5’000.- pour les porteur·euse·s de CFC. Le tout versé 13 fois l’an. Engager la lutte sur cette objectif si simple et si évident relève d’une exigence absolue, immédiate. Il ne s’agit pas de s’en tenir à des proclamations littéraires, mais d’agir effectivement
4. Accès au travail
Rien ne sert de parler de salaire minimum si des milliers de femmes sont enfermées dans une organisation du travail qui bloque leur journée mais ne leur permet pas de faire des heures salariées en nombre suffisant pour pouvoir gagner leur vie. Ce non-accès au travail, cette organisation délibérément précaire, c’est ce que fait l’employeur étatique et les directions des institutions subventionnées. Par exemple, tout le temps de la journée contraint pour pouvoir atteindre un temps de travail d’un peu plus de 40% et un salaire de Fr 2’800.- Les femmes souffrent non seulement de salaires trop bas mais d’une organisation du travail qui précarise et qui use, qui contribue à maintenir à son tour l’organisation patriarcale et l’insécurité sociale des femmes.
Il y a donc une évidente revendication d’accès garanti au travail et de droit au salaire socialisé (aides, subventions, rentes, …) quand on ne peut faire face aux charges de l’éducation et du soin, tout en maintenant un taux suffisant de travail salarié
5. Infériorisation et maltraitance
Il y a les violences sexistes et sexuelles dans leurs continuités et leurs progressions. Parfois, on en dénonce certains éléments, on en condamne certains aspects. Mais la systématique elle-même est ignorée. Ce qui interroge c’est le caractère irréductible de ces violences. Souvent décrites, elles sont tout aussi souvent présentées comme indépassables, comme un mal qui s’abat sur les relations entre personnes, sans que rien de définitif ne puisse être entrepris pour le vaincre. Mais il y a encore un soubassement que le système se refuse à percevoir et dont il refuse de reconnaître les liens avec le monde des violences sexistes et sexuelles. Nous voulons parler de tout ce qui fait obstacle aux droits fondamentaux des femmes, à leur possibilité de questionner, de critiquer, de prendre la parole, de s’exprimer, de s’organiser et d’agir.
Tout cet effort immense d’infériorisation des femmes se lie dans la répression systématique de la résistance et de la dissidence de celles-ci. Par exemple, rien n’est plus évident que cet effort permanent de mise au silence des femmes travailleuses que cette incitation brutale et permanente à leur faire accepter le sort qui leur est assigné. La réalité disciplinaire du travail, cette réalité quotidienne, ne se limite pas à ce qui se passe dans le labeur, dans l’emploi. Elle vise toute la vie. Elle veut dominer non seulement la parole, l’action, mais aussi l’émotion. Naturellement, tout cela n’est pas séparable de la longue et laborieuse histoire du patriarcat comme élément décisif du sort des femmes. La discipline au travail, la pression, la répression, la sanction, la mise au silence, tout cela est du patriarcat. Cela doit être clairement indiqué pour être combattu. Et si les violences sexistes et sexuelles semblent relever de l’irréductible même lorsqu’elles sont dites, la violence exercée contre les femmes dans le travail et dans son environnement relève tout aussi fondamentalement d’une dissimulation systématique, généralisée.
Il y a donc bien une lutte à mener pour les droits fondamentaux, pour les libertés, pour le droit d’être collectivement et individuellement entendues. Le patriarcat comme domination, ici et maintenant, doit être désigné, systématiquement critiqué, combattu
6. Un socle de droits
Le droit ce n’est pas simplement un élément formel, de surcroît produit dans un rapport de forces souvent favorable aux puissant·e·s. Le droit demande un effort permanent pour l’élargir et tout autant pour en arracher une application qui sécurise et protège effectivement. Nous savons bien que les droits faits aux femmes, comme ceux dont bénéficient toutes les positions sociales dominées sont insuffisants. Il y a une bataille à mener pour élargir leurs formulations et leurs propos. Dans cet ordre d’idées, nous pensons qu’il faut se battre pour que les principaux textes de référence sur la condition des femmes, au niveau de l’ONU, du Conseil de l’Europe ou de l’Union européenne par exemple, soient unilatéralement repris par le canton et soient appliqués ici et maintenant. De même, pour des textes existant déjà comme la Loi sur l’égalité femmes-hommes par exemple, il faut ouvrir le chantier de leur applicabilité effective. Donc poser la question sur le statut de dispositions qui systématiquement s’avèrent incapables de s’ancrer dans la réalité.
Il faut que les femmes conquièrent un parcours d’existence sécurisé, démocratique, émancipateur qui leur permettent de sortir de la condition patriarcale qui clairement ou de manière plus ambiguë, plus hypocrite, leur est assignée
7. Travail d’éducation et de soin
La condition des femmes à la retraite est, on le sait, difficile, parfois misérable. Le deuxième pilier est un élément absolument fondamental du régime des retraites. Or, il ne connaît ni l’indexation des rentes, ni la 13e rente, ni le bonus éducatif.
Commençons par ce dernier. Le régime de retraite doit reconnaître et rémunérer le travail de soin et d’éducation mené par les femmes et qui repose très fondamentalement sur leurs activités. Ceci demande donc que les caisses de pensions d’une part et le salaire socialisé de l’autre (prestations complémentaires) reconnaissent le travail extorqué aux femmes. Donc, il faut sur l’ensemble du dispositif de la retraite la 13e rente, l’indexation et le bonus éducatif. Dans les caisses de pensions par exemple, ceci peut et doit se traduire par l’introduction de deux ans supplémentaires de cotisation dont l’entier du financement doit revenir à l’employeur qui profite en l’état du travail gratuit des femmes dans l’éducation et les soins.
Les parcours existentiels doivent être reconnus dans leur généralité et l’indépendance matérielle des femmes dans la retraite, pour une vie décente, doit être également garantie
8. Automaticité des prestations
Plus souvent qu’à leur tour, les femmes doivent recourir aux prestations du salaire socialisé.
L’Etat fait tout pour rendre difficile l’accès à ces éléments. Il veut obliger chaque ayant droit, dont une majorité de femmes, à remplir des demandes administratives laborieuses et difficiles.
Une telle politique sert à deux choses : économiser des sommes importantes sur le dos des personnes qui ne font pas les démarches exigées et faire peser sur toutes et tous le poids de la soumission et de la culpabilisation. Tout ceci se situe dans une continuité de la domination patriarcale.
Nous appelons à résister contre cette politique injuste, anti-sociale, profondément maltraitante pour les femmes. L’Etat possède, pour la plupart des prestations du salaire socialisé, les informations permettant d’attribuer à toutes les personnes qui pourraient y avoir droit les aides existantes. Nous devons conquérir un droit populaire effectif pour toutes et tous sur le terrain du salaire socialisé. Et en premier lieu pour les femmes pour qui littéralement l’accès à ces éléments constitue une nécessité vitale.
Conquérir tout cela relève sans doute d’un long chemin. Se représenter ces objectifs dans leurs plénitudes est, naturellement, une condition nécessaire. Mais chaque élément arraché qui réalise la tension vers ces revendications à la fois fondamentales et ambitieuses permet non seulement d’avancer mais nourrit le mouvement qui change effectivement l’ordre des choses dans la longue lutte, dans le combat acharné pour que l’émancipation des femmes soit réalisée et pour que l’égalité enfin soit conquise.
La lutte paie – deux victoires exemplaires
1. C’est une première en Suisse ! Victoire définitive devant le Tribunal fédéral (TF)
Des enseignantes du professionnel des branches ICA ont gagné au TF. C’est une énorme victoire pour le Syndicat vaudois des maître·sse·s de l’enseignement professionnel (SVMEP-SUD) et une première en Suisse. Aucun employeur public n’avait jusqu’ici été reconnu coupable par le Tribunal fédéral de discrimination salariale envers un collectif de femmes. Le canton de Vaud se targue d’être à la pointe en matière d’égalité mais il y a de toute évidence de la distance entre les paroles et les actes. SUD salue la persévérance des personnes qui ont contribué à mener cette lutte collective exemplaire, les collègues du SVMEP-SUD en première ligne. L’obstination de la Direction générale de l’enseignement post-obligatoire (DGEP) à réfuter le constat d’une discrimination en raison du genre l’a conduit à dépenser en vain l’argent des contribuables, pendant de nombreuses années et jusqu’au TF. Tout cela accompagné d’un refus constant de négocier un règlement de la situation qui aurait épargné du temps, des nerfs et de l’argent. La portée du jugement sans concession de la plus haute instance judiciaire du pays nous rappelle à la fois la difficulté et la nécessité absolue de faire appliquer la Loi sur l’égalité. Honte à l’Etat de Vaud qui traîne maintenant les pieds pour payer leur dû aux femmes concernées.
2. Victoire provisoire d’une enseignante devant le TRIPAC
L’ensignante en question a dénoncé l’inaction de sa hiérarchie et du Département suite à un tag obscène et sexiste qui l’injuriait sur plusieurs mètres à proximité de l’école où elle enseignait alors. Le jugement rendu lui donne en bonne partie raison et épingle l’employeur. Les considérants du jugement sont à présent connus et la portée collective de ce jugement est de plus en plus évidente, tant l’employeur a l’habitude de souvent renvoyer les salarié·e·s agressé·e·s à des démarches et des responsabilités individuelles. Fort prompt à prôner par le discours le principe de la « tolérance zéro », l’employeur développe dans cette affaire un point de vue très en-deçà de toute interprétation un tant soit peu progressiste en matière d’application du droit. Comme cette femme courageuse l’a écrit au Chef de Département :« (…) je veux et je prends le droit de m’exprimer. » L’Etat de Vaud a fait recours, affaire à suivre.
