Pour que l’éducation ne soit pas qu’un discours…
Philippe Meirieu, pédagogue engagé, partage à Lausanne sa vision exigeante et humaniste de l’éducation. Il nous rappelle :
« La pédagogie différenciée n’est pas une affaire de spécialistes, c’est une affaire d’équipe. »
Mais dans le secteur parascolaire de la Ville de Lausanne, les actes ne correspondent pas à ces paroles. On parle de qualité, d’enfants au centre, de professionnalisation… Mais dans les faits ? C’est une tout autre histoire.
Les problèmes pointés dans le secteur parascolaire lausannois ne relèvent pas de l’exception ou du détail. Ils incarnent une crise profonde du sens même que l’on donne à l’éducation. On ne peut revendiquer une ambition éducative sans offrir aux professionnel.les les conditions pour la mettre en œuvre.
Les éducateurs·trices ont besoin de stabilité, de reconnaissance, de temps collectif renforcé, et de liberté de parole pour construire un accueil de qualité. Une éducation cohérente et humaniste ne peut émerger dans un contexte de dureté organisationnelle, de flexibilisation forcée et de surcharge. Promouvoir l’éducation tout en négligeant celles et ceux qui la rendent concrètement possible chaque jour révèle une contradiction majeure.
Il ne suffit pas d’engager des professionnel·les pour prétendre à la professionnalisation d’un domaine : il faut aussi donner à ces personnes les moyens d’exercer leur savoir.
Des principes affichés… aux pratiques qui les contredisent
Des équipes désagrégées : La direction refuse de reconnaître les collectifs de travail qui tentent de prendre la parole. Le management cherche à atomiser les salarié·e·s, à individualiser les paroles, à anecdotiser les problèmes et faire reposer l’entière responsabilité sur les épaules des travailleur·euse·s.
Un turnover dévastateur : Les conditions de travail (horaires morcelés, bas taux d’emploi, surcharge) provoquent un turnover massif, incompatible avec la stabilité éducative nécessaire aux enfants.
Des revalorisations bloquées : Tandis que les postes de cadre bénéficient de hausses salariales, les augmentations pour les travailleur.euse·s de terrain sont systématiquement bloquées. Ce déséquilibre illustre un mépris structurel pour le travail de terrain – celui-là même qui accompagne quotidiennement les enfants.
Une logique technocratique : Les enfants sont gérés comme des flux à optimiser, non comme des personnes à accompagner. On parle d’adapter la pédagogie aux moyens… mais on demande surtout d’adapter les enfants au manque de moyens.
Des accueils de masse sans extérieur : Dans plusieurs lieux, un nombre trop important d’enfants est concentré dans des espaces fermés, sans accès à un extérieur ou disposant de cours beaucoup trop petites. Certaines structures sont même situées loin des écoles, sans véritable continuité dans la journée de l’enfant. Cette configuration rend impossible une prise en compte individualisée comme elle est pourtant affichée dans les intentions. On passe alors d’un projet éducatif à une gestion de masse des enfants.
Professionnalisation sabotée : flexibilisation, surcharge et absence de moyens
La professionnalisation du secteur parascolaire ne se décrète pas dans des brochures. Il ne suffit pas d’engager des professionnel.les pour prétendre à la professionnalisation d’un domaine : il faut aussi leur donner les moyens d’exercer leur savoir. Elle ne peut se faire : ni sans du temps d’équipe pour réfléchir, préparer, analyser, créer une continuité éducative, ni par une flexibilisation contrainte qui augmente la charge de travail, détruit la disponibilité mentale et empêche toute réflexion pédagogique.
«Il ne suffit pas de savoir ce qu’il faut faire pour le faire. Encore faut-il en avoir les moyens. »
— Philippe Meirieu, La pédagogie entre le dire et le faire
Les normes cantonales ne doivent pas servir d’alibi
Certes, les normes minimales posées par le canton sont insuffisantes. Mais elles ne sauraient justifier l’inaction de la hiérarchie municipale. Quand il y a des dysfonctionnements, les responsabilités sont reportées sur le bas de l’échelle, jamais sur les choix organisationnels.
Ce que nous demandons, ce que nous défendons :
- Du temps collectif, reconnu et renforcé, pour penser les pratiques éducatives, construire une cohérence pédagogique et faire vivre l’intelligence d’équipe ;
- La valorisation concrète et la reconnaissance effective du travail de terrain ;
- Une parole collective reconnue et protégée, pas des entretiens individualisés commandés et utilisés par la hiérarchie ;
- Des objectifs SMART et non des instruments de fragilisation et de sanction ;
- Des moyens à la hauteur des ambitions affichées ;
- Une politique éducative cohérente, fondée sur la stabilité des équipes, la liberté de parole, la coopération et la transparence ;
- Le respect des procédures qui protègent les droits des employé·es, afin de sortir de l’arbitraire du pouvoir, de garantir les droits fondamentaux, et d’assurer que le traitement des causes s’impose, et non la simple gestion de leurs effets. C’est une condition nécessaire à la sécurité et à l’égalité des chances pour les enfant.
« L’éducation est un engagement dans le réel, pas un simple agencement de discours. »
— Philippe Meirieu
L’éducation, ce ne sont pas des slogans. Ce sont des actes.
